Rechercher
Fermer ce champ de recherche.

FOCUS INNOVATION : Structurer une offre de véhicules autonomes pour Keolis

Clément Aubourg

 

Clément Aubourg est responsable des véhicules autonomes pour le Groupe Keolis. Après une école de commerce, son appétence pour les véhicules, l’innovation et les technologies le conduisent à aborder les véhicules autonomes en tant que consultant dès 2016 puis responsable à part entière en 2017. Chez Keolis, il fait l’interface entre les équipes techniques et les équipes commerciales, marketing et juridique (double casquette) et se fixe l’objectif de structurer cette activité, qui n’en n’est encore qu’à des débuts en 2016.

Bonjour, pouvez-vous nous expliquer en quoi consiste votre métier précisément ?

J’ai pour mission principale de faire monter en compétences le groupe sur ces sujets pour proposer des offres de mobilité autonomes à nos clients. Je suis basé au siège à Paris mais je travaille pour l’ensemble des filiales du groupe Keolis dans le monde entier. Je commence ma journée avec l’Australie et je la finis avec les Etats-Unis en passant par Dubai et le reste de l’Europe. Nous avons la chance de travailler sur des problématiques spécifiques en fonction des pays (sujets grand froid au Canada / sujet chaleur en Australie).

Le but est de monter en compétence, structurer l’offre et tester les véhicules de manière sécurisée. On a commencé sur des cas d’usage assez simples et aujourd’hui on est capable de lancer des services sans opérateurs à bord.

L’un de nos objectifs est d’être en capacité de proposer des véhicules sans conducteur à bord, notamment pour répondre à la pénurie de chauffeurs dans beaucoup de filiales et évidemment aussi pour pérenniser financièrement ce type de solutions. Pour cela, il faut que la technologie et les équipes soient prêtes car ça reste avant tout une aventure humaine. En effet, nous avons et aurons encore besoin de beaucoup de main d’œuvre et de conducteurs pour appréhender cette technologie, vérifier sa sécurité et proposer des alternatives, notamment des opportunités de carrière à nos conducteurs qui représentent la majorité des emplois du groupe Keolis.

Quelles sont les actualités de Keolis sur les navettes autonomes ?

On est en train de lancer deux projets en deuxième phase. Le premier en France au niveau du Groupama Stadium (stade de l’Olympique Lyonnais) dans lequel on va proposer deux navettes autonomes Navya à la demande pour les utilisateurs de la zone car en dehors des journées d’événements, il y a tout un écosystème qui s’est développé. On va pouvoir proposer un service à la demande entre l’arrêt de tramway Grand large, le stade et les différents bâtiments.

La deuxième phase du projet dont on est assez fiers est dans le centre-ville de Montréal avec notre filiale Keolis Canada. On développe une solution de premier dernier kilomètre dans le quartier de la Plaza Saint Hubert pour proposer cette offre de mobilité dans une zone très dense, avec des problématiques différentes, dans un endroit où il y a encore très peu d’offres de mobilités autonomes.

A Châteauroux se situe notre site d’essai des mobilités autonomes dans lequel on teste ces nouvelles technologies et propose de nouveaux services. Avec EasyMile, on propose un projet en « no op » (no operator), c’est le niveau 4 d’autonomie et donc la possibilité d’un service sans opérateur à bord. Nous sommes sur un site privé et fermé à la circulation ce qui nous permet de ne pas être soumis au régime dérogatoire d’autorisation ministérielle.

Dans quelle mesure le cadre légal impacte vos évolutions ?

Sur le plan légal, c’est dorénavant possible en France de rouler sans opérateur à bord à condition qu’il y ait une personne en capacité de reprendre la main sur le véhicule, c’est-à-dire simplement l’arrêter dans la plupart des cas.  Cette personne, sorte d’opérateur à distance doit être détenteur du permis bus, et cela qu’il se situe à 5, 50 ou 500 km du véhicule. Avec la LOM et les différents articles qui traitent du sujet, on sera même demain en capacité de faire gérer par un seul opérateur à distance davantage de véhicules.

D’ici la fin d’année, un amendement à la convention de Vienne va être passé pour autoriser ce genre d’expérimentations dans les pays signataires. En revanche, la technologie n’est pas encore totalement prête. Même si l’on amende, il faut aussi que la technologie soit prête et sécurisée. On y travaille ardemment.

Quelles sont les expérimentations en cours en France et à l’international ?

Le projet de Las Vegas m’a beaucoup marqué car c’est l’un des premiers que l’on a mené sur route ouverte en 2017, au milieu de la circulation. Pour l’anecdote, on avait même des demandes pour faire des mariages à bord des navettes. C’était une manière de tester notre façon de travailler et un vrai challenge d’arriver à être pertinent à distance pour les aider sur ces technologies avec des véhicules que l’on utilise en France.

En Suède, on travaille avec Intel et Ericsson pour travailler sur les apports de la technologie 5G et plus particulièrement sur la supervision. Avec une latence maîtrisée, un réseau dédié, on peut faire du « remote assistance », c’est-à-dire la possibilité de valider à distance des choix proposés par le véhicule et de le faire de manière sécurisée.

Quelles sont les évolutions liées à la 5G ?

Aujourd’hui on arrive à tout faire en 4G mais quand on voit le volume de données nécessaires pour pouvoir gérer des flottes conséquentes de véhicules, on a besoin de plus données. On est rapidement limité en 4G. Lors de l’une de nos expérimentations, nous nous sommes rendus compte qu’il pouvait y avoir une latence de deux à trois secondes entre un véhicule connecté avec une caméra en 5G et une autre en 4G. Cela peut paraître peu mais par exemple pour valider un dépassement à distance, il peut se passer beaucoup de choses en quelques secondes. La 5G permet d’être plus réactif.

Quelle place pour la cybersécurité ?

La cybersécurité est un point phare de nos sujets. Nous sommes contrôlés par l’ANSSI (l’Agence nationale de sécurité des systèmes d’informations) qui vient systématiquement nous donner son accord avant nos expérimentations.

Aujourd’hui, le risque est réduit car on a un opérateur à bord qui peut appuyer sur le bouton stop pour bloquer les freins au moindre risque. La phase à anticiper est celle sans opérateur. Plus le champ d’action des navettes autonomes est restreint, plus on limite les risques de hacker le système. L’idée est donc de privilégier un nombre d’actions faisables à distance très limité On va plutôt assigner des missions prédéfinies au véhicule plutôt que de contrôler directement sa direction à distance. La conduite en manuel est même bridée et dans certains cas on peut continuer à activer les capteurs pour éviter le détournement. De toute manière, les accès sont grandement sécurisés.

Comment les passagers accueillent-ils les navettes autonomes ?

Nos résultats sont très positifs. Nous avons mené des études sur 9 sites (en France, aux Etats-Unis, en Australie) où l’on a interviewé 13 000 passagers et on a un taux de satisfaction de 98%. Il y a un quelques éléments qui peuvent expliquer cela : les véhicules sont accessibles, ce sont des services gratuits. Evidemment, il y a encore des axes d’amélioration : la vitesse, la souplesse de la conduite car le véhicule ne prend pas de risques et donc va peut-être freiner plus abruptement et également la fréquence de passage.

Comment se place la France par rapport aux autres pays ?

La France est très avancée sur les navettes autonomes parce qu’on a la chance d’avoir un écosystème très riche : les trois plus grands opérateurs de transports (Keolis, Transdev, RATP), les constructeurs traditionnels : Peugeot-Citroen (groupe Stellantis), Renault, Alstom et des navettistes Navya et Easymile notamment. Nous avons la chance de pouvoir travailler ensemble notamment via des instances de travail que l’on appelle STPA, systèmes de transport public autonomes, dans lesquelles on se réunit pour accompagner les différentes initiatives et faire progresser le bien commun.

Est-ce que la part des véhicules autonomes va grandir dans les prochaines années ? Quels sont les freins ou les ralentisseurs pour l’expansion des véhicules autonomes ?

Tout porte à croire que la part de marché va grandir. A ma connaissance, aucune ligne régulière n’a été remplacée par des VA. Toutes les lignes que nous avons exploité, et notamment des lignes intégrées dans les transports publics, sont des lignes créées pour les véhicules autonomes.

L’objectif est que l’on puisse arriver à des véhicules en capacité de compléter l’offre existante, que ce soit dans la nuit ou en heure creuse. Les freins aujourd’hui sont les questions de sécurité ou de technologie. En tant qu’opérateur, on se prépare d’ores et déjà pour que les employés soient préparés aussi bien d’un point de vue process d’exploitation que d’un point de vue organisation et formation. Néanmoins, la technologie a un certain nombre de paramètres et de normes à respecter, des niveaux d’ASIL à respecter (ce sont des niveaux de norme basés notamment sur le nombre d’échecs par kilomètre) très très bas et compliqués à mettre en œuvre. Aujourd’hui le conducteur a un rôle très important surtout pour la sécurité. Il y a donc un travail phénoménal mené par les constructeurs pour assurer cette sécurité et cette sûreté de fonctionnement sans conducteur. 

Pour avoir des services pertinents en capacité de répondre, il faudra que les constructeurs améliorent l’ODD (Operating design domain) des véhicules, le domaine d’opérabilité. Ce sont les conditions dans lesquelles le véhicule peut être utilisé de manière autonome. Aujourd’hui ces conditions sont assez restreintes : on ne peut pas aller sur l’autoroute, on ne peut pas aller sur des changements de voie non sécurisés, etc… Mais la technologie évolue et aujourd’hui on est capable de faire des choses impossibles il y a plusieurs années. L’enjeu est donc de passer à l’étape d’après avec un service performant mais également une réduction des coûts. La problématique c’est que le véhicule qui fait une quinzaine de places coûte le même prix qu’un bus 12m et le coût au kilomètre est beaucoup moins intéressant. Néanmoins, on bénéficie de financements français, européens et régionaux qui nous permettent d’expérimenter pour être prêt demain.

Est-ce qu’à terme les chauffeurs de bus ont vocation à être remplacés ?

J’aime bien faire un parallèle avec le métro. Le premier métro automatique date de 1983 et pour autant, on a encore des métros avec des conducteurs aujourd’hui parce que c’est une approche progressive et on ne va pas changer tous les bus pour les rendre autonomes du jour au lendemain. Aujourd’hui, on commence sur des lignes nouvelles avec un besoin de conducteur puis demain l’objectif est d’arriver sur des lignes particulières en complément d’offre puis un jour en remplacement sans avoir besoin de conducteur à bord. 

Sur un métro automatique, il n’y a pas de conducteur à bord mais un superviseur qui sait piloter et une équipe volante en capacité d’intervenir sur place quand il y a un problème. Sur un bus autonome, c’est exactement la façon dont on envisage les choses. Peut-être que sur une vingtaine de bus, on aura seulement 2,3,4 personnes. Parmi les 160 conducteurs que l’on a formé aux véhicules autonomes dans le monde sur la base du volontariat, tous avaient envie de tester quelque chose de nouveau, étaient intéressés par la technologie et voulaient s’orienter sur ce secteur. Certains sont devenus formateurs, certains sont devenus superviseurs et d’autres sont coordinateurs de différentes expérimentations. Et puis certains ne sont pas du tout intéressés parce qu’ils aiment la conduite et cela nous va très bien car tout cela va se dérouler étape par étape.

Que répondez-vous aux détracteurs des VA ?

Aucune technologie n’est parfaite mais celle-là a plusieurs avantages qu’il ne faut pas négliger. Il ne faut pas le voir comme un risque mais plutôt comme une opportunité d’avoir des offres complémentaires à l’offre existante dans une premier temps, pouvoir aller dans des zones plus rurales notamment dans lesquelles l’offre de transports n’est pas suffisamment importante ou de proposer des services de transport à la demande.